Tribune d’opinion
Par Jean-Pierre Dosdat, Président du Conseil de Surveillance
et Dominique Pautrat, Président du Directoire de La Coopérative Welcoop
Le vieillissement de la population en France est un enjeu démographique majeur qui affectera fortement notre système de santé dans les prochaines années. Afin de prévenir les hospitalisations qui pèsent sur l’économie, il convient de repenser les actions de prévention santé, notamment à l’égard des personnes âgées. Le pharmacien, du fait de sa proximité avec la population, peut jouer un rôle clé dans cette mission.
La population française connaît actuellement un fort vieillissement. Les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent aujourd’hui 20,5 % de la population et la tendance s’accélère puisque la décennie 2020-2030 sera celle de l’explosion des 75-84 ans, les fameux baby-boomers. Le taux de population de cette classe d’âge devrait connaître une hausse de + 49 % par rapport à la décennie précédente, tandis que le nombre des plus de 85 ans devrait lui progresser de 7%[1].
Cette transition démographique est une bombe à retardement, tant l’impact économique, sanitaire et sociétal sera important. Elle va non seulement bousculer le « vivre en société » mais également tout notre système de santé déjà fragilisé. Il s’agit d’un défi immense qui s’annonce pour les finances publiques. En effet, les dépenses liées à la maladie et la perte d’autonomie représentent déjà une part considérable des dépenses de protection sociale.
Dans ce contexte, comment maintenir en santé, et en autonomie à leur domicile, ces millions de français qui n’ont qu’un souhait : rester chez eux le plus longtemps possible ? Mobilité, transport, services d’accompagnement et de soins, aménagement de la vie quotidienne et de la ville, adaptation du lieu de vie. Les champs d’action sont multiples, et un enjeu a particulièrement retenu notre attention.
Les chutes, un marqueur d’entrée dans la dépendance
La prévention des chutes est en enjeu critique pour une politique durable du « bien vieillir ». Bien que l’OMS ait caractérisé les chutes comme un « problème de santé publique majeur », il reste cependant très sous-estimé malgré des chiffres saisissants. Une personne sur 3 de plus de 65 ans et vivant à domicile serait victime d’une chute au moins une fois par an[2], alors que seulement 42% de cette même classe d’âge se dit préoccupé par le sujet et uniquement 22% a mis en place des mesures de prévention[3].
Le coût humain en est élevé : en 2016, elles ont entraîné plus de 10 000 décès. Par comparaison, la même année, 3 477 personnes ont perdu la vie dans un accident de la route. Les chutes représentent la première cause de mortalité accidentelle chez les plus de 65 ans et la grande majorité des recours aux services d’urgences. Si ces accidents sont néanmoins rarement mortels proportionnellement à leur prévalence, ils entraînent très souvent des traumatismes durables. Avec des conséquences physiques, psychologiques, sociales, les chutes sont donc un « marqueur d’entrée dans la dépendance ». Un enjeu financier pour l’équilibre du système de santé.
Le coût financier des chutes, qui entraînent chaque année plus de 130 000 hospitalisations, s’est élevé à 600 M€ pour l’assurance maladie n 2019. Selon la Cour des comptes, le coût total (intégrant le parcours de soins avant et après la prise en charge hospitalière) se chiffre à 2 milliards d’euros par an. Un poids non négligeable pour la collectivité.
Le plan antichute gouvernemental, lancé en février 2022, en prend toute la mesure. Néanmoins, malgré les initiatives qui se multiplient, il n’existe toujours pas de prise en charge globale et coordonnée pour les personnes âgées qui soit aussi efficiente pour le système de santé.
Le rôle clé des pharmaciens
Les pharmaciens sont certainement les professionnels de santé les plus à même d’orchestrer une prise en charge globale du patient sujet aux chutes. Ils ont déjà démontré lors de la crise de Covid 19 une mobilisation sans faille, une proximité constante auprès des citoyens et un fort engagement dans leurs nouvelles missions de prévention.
Les 20 000 pharmacies représentent un maillage essentiel pour le système de santé dans tous les territoires, y compris dans les déserts médicaux où les pharmaciens jouent un rôle clé. Au centre de leur expertise : la relation étroite au patient et notamment aux personnes âgées. Conscients de leurs préoccupations, ils sont à l’écoute de leurs problèmes quotidiens et connaissent souvent leurs proches et aidants. Ils sont donc capables d’identifier les profils des chuteurs, les facteurs aggravants, les signes de vulnérabilité et de proposer des solutions de prévention adaptées à domicile. Ils ont ainsi un rôle à jouer pour créer de nouveaux usages dans le parcours de soins des patients (identification au comptoir, audit à domicile, sécurisation du logement, entretien personnalisé, etc.).
La problématique des chutes, grande cause nationale, doit nous amener à innover à travers des dispositifs créateurs de valeur sociale et économique. Il convient de changer de paradigme : passer du curatif au préventif, être au plus près des patients et voir grand, avec des démarches d’innovation collaboratives de la part de tous les acteurs au service d’un double enjeu de bien commun : la santé des Français et l’équilibre financier du système de santé.
Retrouvez plus d’informations sur :
– notre site web dédié : plan-antichute.fr
– notre premier blog sur le sujet du 09 juin 2023.
– l’Étude IFOP et notre communiqué de presse du 28 novembre 2023 par ici.
[1] Source : rapport interministériel “nous vieillirons ensemble… 80 propositions pour un nouveau pacte entre générations”. Mai 2021.
[2] Source : Santé Publique France en 2019.
[3] Source : Étude IFOP pour La Coopérative Welcoop, La prévention des chutes auprès des seniors. Novembre 2023.